Dreamers & Believers (ft. Áskell)

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Quittant La Maison, le fils d'Eldar avait un objectif bien précis : trouver Áskell et le questionner sur la manière dont se déroulait la partie de sa vie en ville. Si certains événements étaient inexpliqués depuis quelques temps, les récentes disparitions poussaient visiblement une partie des habitants de Hafnor à pointer du doigt la Communauté, sa communauté, et ce n'était pas acceptable, pas alors que tous vivaient sans porter atteinte aux civils à quelques kilomètres d'eux. Un jugement hâtif, sans doute infondé, qui devait forcément avoir un impact même minime sur les membres qui travaillaient ou étudiaient en dehors de leurs terres. Einar devait savoir, il devait en avoir le cœur net afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires pour les siens ou au moins être un soutien dans cette période compliquée. Pas qu'il le faisait par pure volonté, n'étant clairement pas le plus altruiste du lot, mais sa fonction au sein de la Communauté ne lui laissait pas vraiment le choix. Que diraient-ils si le fils biologique d'Eldar montrait son vrai visage ? Celui d'un type bien plus avide de pouvoir que ne l'est son père, bien plus porteur d'amertume et de rancœur ? Celui d'un homme bien plus sombre qu'il n'en donnait l'air. Mieux valait ne pas prendre le risque de laisser un jour tomber le masque et continuer à agir comme il l'avait toujours fait : avec cette sorte de supériorité pleine de bienveillance dotée tout de même d'une touche d'intransigeance.

L'ancien avocat avait d'ailleurs passé cette journée en ville. Un rendez-vous avec Jón qu'il voyait et conseillait encore de temps en temps pour son entreprise, un échange discret avec l'un des Passeurs, quelques achats, et il était revenu sur ses Terres. Peut-être que le fait qu'il soit passé dans le quartier étudiant l'avait poussé à aller voir le jeune Gilbertsson, comme s'il s'était d'un seul coup rappelé de son existence. Son point de vue était pourtant relativement différent : l'étudiant était parmi eux depuis près de deux ans, il avait suffisamment connu la vie dehors pour avoir un avis un peu plus objectif que d'autres et, peut-être, être capable d’interpréter des signes que certains ne voyaient même pas. Inutile de chercher le jeune dans tous les recoins, le plus âgé savait où le trouver : comme souvent après sa journée de cours, Áskell traînait dans la serre. Une habitude qu'Einar n'avait pas manqué de remarquer, suffisamment observateur pour porter attention aux fonctionnements de chacun de ses semblables.

Sans grande surprise il le trouvait immédiatement, pénétrant dans la serre sans se soucier du fait qu'il avait toujours sa clope entre les lèvres. « Bonjour Áskell. » Une voix calme mais qui ne manquait pas de cette autorité habituelle, annonçant ainsi sa présence. Ses prunelles croisant celles du concerné, il lui adressait un bref sourire, ajoutant un « Comment vas-tu ? » qui n'avait rien d'une simple formalité. Le cinquantenaire ne demandait jamais cela ''pour rien'', ni par pure bienséance, il voulait vraiment savoir comment se sentaient les personnes qui gravitaient dans ce cercle si particulier, notamment parce-que le moindre mouton noir pouvait amener des conséquences qu'il valait mieux éviter. L'anticipation était donc la meilleure des options. « J'aimerais qu'on parle. Tu n'es pas occupé ? » Ça, c'était une question purement formelle, parce-qu'au fond, que le jeune soit occupé ou non il risquait fort de le questionner tout de même, mais laisser croire qu'ils avaient toujours le choix faisait partie de son image. Et la finalité était à double tranchant, parfois il était plus coulant, et d'autres fois il pouvait s'avérer bien moins arrangeant.

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Ce début d’avril était pour Áskell le début d’un renouveau. C’était l’heure de ce souffle annuel qui apportait avec lui le réveil de la végétation, celle-ci recouvrant le monde de son vert lumineux. Il avait commencé sa journée tranquillement par un cours magistral de génétique des plantes, au premier rang. Puis il avait mangé dans un coin du jardin universitaire sa petite salade maison. Enfin, il avait avancé son mémoire à la bibliothèque. Et même si ses études le passionnaient, il n’avait eu qu’une idée en tête de puis le lever du soleil : rentrer sur les Terres et plus précisément se retrouver dans la serre. Celle-ci était presque devenue son lieu de vie principal et était de toute manière délaissée par la majorité des Enfants d’Eldar. Ce qui arrangeait bien Áskell qui pouvait l’aménager à sa guise.

C’est donc le cœur léger qu’il se redirigea chez lui à travers les bois, planifiant déjà les taches qui l’attendaient. Il entra dans la maison des célibataire sans même regarder si un de ses colocataires était présent. Il déposa ses affaires de cours à côté de son lit, enfila de vieux vêtement et enfin, il mit son tablier. Il l’avait lui-même amélioré en y cousant de nombreuses poches pour y ranger sécateur, pelle, ou autres graines... Tout cela lui donnait une allure atypique, mais c’était bien le dernier des soucis du jeune homme. Quand il entra dans la serre, il se sentit immédiatement à sa place, rempli de la certitude qu’ici il servait la cause, celle qui l’habitait. Il prenait soin de la nature, c’est ce pourquoi il était là. Le serviteur qu’il était, se mit alors à la tâche.

Áskell était encore en train de réfléchir à la meilleure exposition pour les semis de courge, quand quelqu’un rentra dans la serre. Il sursauta, mais se ressaisi, ne voulant pas paraître faible devant la figure d’autorité que représentait son invité. Un sentiment d’appréhension s’infiltra insidieusement dans ses veines et Áskell, soudainement refroidi, salua Einar à son tour en attrapant son pull posé sur l’escabeau. Le descendant d’Eldar avait toujours été très prévenant avec lui, jamais menaçant, malgré tout le jeune homme ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine retenue à son égard. Mais quand celui-ci lui demanda comment il allait, Áskell s’apaisa. Son ainé ne faisait, encore une fois, que prendre des nouvelles de ses confrères, et c'était tout à son honneur.

« Ca va très bien merci.»

Le jeune homme profita de l’occasion pour revenir sur un petit détail qui le tourmentait. C’est un peu intimidé qu’il en fit part à son interlocuteur.

« Juste une chose, la fumée n’est pas très bonne pour les plantes, surtout en serre. Vois-tu, même si les végétaux peuvent assimiler certains des 4000 produits chimiques du tabac, ceux-ci sont nocifs pour les plantes à la longue, de plus la fumée se déposant sur les feuilles a tendance a obstruer les stomates et donc empêcher la respiration…. Enfin, je voulais juste savoir si tu pouvais éteindre ta cigarette s’il te plaît. »

Le fumeur s’exécuta et enchaîna directement en demandant au garçon s'il était occupé.

« Un peu. Comme tu dois le savoir, c’est le début du printemps, une période très chargée et primordiale à la serre pour permettre au jardin de s’épanouir au maximum et à la nature de prendre la place qui lui revient. Je suis en pleine préparation des semis. J’ai déjà fait les courges. Il faut que je mette en place les haricots rapidement… »

Encore une fois, le passionné qu’il était, s’était emballé. Au vu de l’enthousiasme inexistant de son interlocuteur, Áskell préféra mettre un terme à son discours, comprenant alors que la question n’en était pas vraiment une.

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Dire qu'Einar n'appréciait pas cette pointe de respect qu'il faisait naître chez ses pairs serait un mensonge. Il n'en disait rien, ne laissait rien entrevoir, suffisamment habitué à ne leur montrer que ce qu'ils voulaient ou du moins ce que lui voulait qu'ils voient mais dans le fond il était de ceux qui se satisfaisaient de représenter une part d'autorité presque crainte. Il était habitué, à force, à reconnaître ces changements d'ambiance à son arrivée, et il ne faisait aucun doute que l'atmosphère s'était faite un brin plus tendue à la seconde même où le jeune avait remarqué sa présence. Pour autant il ne relevait pas, poursuivant comme si de rien n'était, comme s'il était uniquement animé par cette bienveillance qu'il laissait voir à ses pairs. Sans doute était-il relativement opposé à son père sur ce point. Eldar n'avait-il pas mis en place cette communauté de sorte à ce que ses membres soient soudés et tous égaux ? Probablement que si, du moins de ce qu'en avait décelé Einar, et il s'appliquait à répéter ces fonctionnements principalement parce-que le meilleur moyen d'agrandir la communauté. Personne n'avait besoin de savoir qu'il n'était pas aussi compréhensif et coulant qu'il le laissait croire.

Adressant un sourire au concerné lorsque celui-ci lui affirmait qu'il allait bien, le cinquantenaire tirait une dernière fois sur sa barrette de nicotine quasiment consumée, fronçant les sourcils aux paroles de son vis-à-vis. Il était évident qu'il ne semblait pas à l'aise à lui exprimer cette demande qui, par ailleurs, surpris le plus grand autant qu'elle l'agaçait. Une seule clope ne risquait pas d'obstruer quoi que ce soit, il n'était pas entrain de faire un aquarium dans cette serre, mais le sujet était délicat. S'il lui laissait entendre qu'il n'en n'avait strictement rien à faire, ce serait comme dire qu'il se foutait que la communauté ait suffisamment à manger. Difficilement acceptable pour quelqu'un qui était censé se soucier du bien-être de chacun, encore plus considérant leur rapport à la nature. Rapport qu'il partageait plus ou moins malgré lui, parce-que c'était ainsi qu'on l'avait élevé, mais qui, au fond, n'avait pas plus d'importance pour lui que cette volonté d'éviter les éléments trop technologiques sur leurs terres.

Tirant une dernière fois sur sa clope qui se retrouvait terminée, il jetait son mégot dans une petite poubelle juste à côté, embrayant directement sur une question plus sérieuse sans prendre la peine de répondre au laïus d'Áskell. Et à nouveau, le jeune se mettait à lui parler comme s'il cherchait à lui apprendre quelque chose, se perdant dans ses explications comme s'il souhaitait lui prouver par A plus B qu'il était effectivement occupé. Fait que l'ancien avocat pouvait entendre, mais qui ne l'empêcherait pas de lui prendre de son précieux temps. Un bref sourire plus automatique que réellement amical étirait ses lèvres alors que l'autre s'arrêtait, semblant comprendre qu'il n'avait pas vraiment le choix. « Les haricots pourront attendre quelques minutes » répondait-il simplement avant de faire quelques pas dans la serre, observant les fameuses plantations de cet air relativement fermé qui ne laissait pas entrevoir ce qu'il se jouait exactement dans sa tête.

« Tu n'es pas sans savoir que depuis quelques mois il y a des disparitions en ville » commençait-il en poursuivant tranquillement son avancée entre les plantations. Quelques secondes de flottement pour laisser le temps au jeune de réenregistrer l'info et le plus âgé reprenait. « Des bruits courent en ville. Des suppositions selon lesquelles tout ceci a été orchestré par notre communauté. » Sur ces mots, Einar se tournait vers l'étudiant, posant sur lui ses prunelles compréhensives et inquiètes. Il savait faire, feindre les émotions, faire croire à ses pairs qu'il était réellement humain, capable de faire passer le monde entier avant sa petite personne. Après une inspiration, il reprenait. « Tu fais partie de ceux qui évoluent en ville... comment ça se passe ? Est-ce que tu es impacté par ces suspicions ou as-tu entendu quelque chose à ce sujet ? » Peut-être Áskell n'était-il absolument pas impacté par cela, peut-être n'y faisait-il juste pas attention, mais autant faire attention à son bien-être tant sur leurs terres qu'en dehors afin que tout continue de se dérouler sans accroc et qu'il soit possible d'anticiper les potentielles répercutions de la peur des citadins.

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